Svenn jeta s’arrêta un moment, jetant un long regard sur la grande construction qui abritait le conseil des chefs. Grande, elle aurait pu accueillir pas moins d’une centaine de personnes, les protégeant de la morsure du froid glacial. À l’intérieur, il pouvait déjà entendre les hommes festoyer, leur grosse voie portant jusqu’à l’extérieur. Et puis, dans une autre salle, sans doute, la réunion avait elle aussi commencée.

Enfin, il y pénétra. Une forte odeur d’alcool assaillit ses narines, alors que la fête battait son plein dans le hall. Il poursuivit son chemin, jouant des coudes pour passer à travers la mer de corps, faisant attention à ne pas perdre Shaynon du coin de l’œil. Bien qu'elle fusse sa prisonnière, il avait jugé bon de ne pas l'attacher. Après tout, en réalité, il ne la traitait pas comme une prisonnière, loin de là. Il voulait tout savoir de son royaume, et de toutes les terres du sud. Et elle allait l'aider. Ce n'était donc pas en la maltraitant qu'il parviendrait à ses fins.

Un instant, il se mot à penser qu'elle pourrait se débrouiller parfaitement en cas de pépin, vu ce dont elle était capable. En fait, s'il la surveillait, c'était plus pour protéger le crétin qui oserait s'en prendre à elle...

Il repéra une porte dans le fond, gardée par deux hommes qui ne semblaient pas prendre leur travail très au sérieux, tandis que deux femmes les caressaient, doucement, de leur corps aux courbes accueillantes.

Il n’eut pas même besoin de se justifier pour entrer dans la nouvelle pièce, sa prisonnière sur les talons.

L’ambiance n’y était pas si différente.  Ici aussi, l’alcool coulait à flots. Cependant, on pouvait tout de même remarquer quelques visages sérieux, en pleine conversation. Des têtes se tournèrent dans sa direction lorsqu’il referma la porte, le suivirent alors qu’il allait s’asseoir sur la dernière chaise qui semblait être libre.

Se fixèrent sur lui lorsqu’il se fut assis.

La table autour de laquelle il venait de s’asseoir n’était pas bien grande. Ils étaient une bonne dizaine, tous des chefs de clans, ou des émissaires, qui participeraient sans le moindre doute à la descente qui se préparait sur les terres amazones. Il y avait des femmes aussi bien que des hommes, les barbares ne faisaient pas dans le sexisme. Il ne put cependant s’empêcher de remarquer la jolie jeune femme aux formes généreuses qui était à sa droite, et dont la chevelure de feu ne pouvait que contraster avec l’endroit où elle avait grandi.

«  J’ai manqué quelque chose ? » lui demanda-t-il, une poignée de secondes avant que l’homme en bout de table ne se lève, attirant l’attention de tous.

Neils Armstahl. L’organisateur de ce banquet. Un des gros bonnets des clans du nord. Les rumeurs disaient qu’à lui seul, il avait abattu cinquante elfes lors d’une de ses virées dans les territoires plus au sud. Seulement des rumeurs selon Svenn… il aurait l’occasion de vérifier leur véracité lors des batailles à venir…

Il y avait aussi Zoran Raskpilen, l’homme dont on disait les flèches aussi rapide que le tonnerre, mais aussi Svetlana Kaldvind, la femme qui avait amené son clan à son apogée en éliminant purement et simplement les voisins qui les entouraient,  s’appropriant leurs terres et utilisant les quelques survivants pour dissuader les conquérants de s’attaquer à eux en emprisonnant leur corps dévastés dans la glace à l’aide de ses pouvoirs. Subtile menace… menace efficace.

Ces hommes et femmes, il les connaissait. De nom, surtout. Ils faisaient partis des noms que l’on ne pouvait se permettre d’ignorer dans les terres du Nord, tant leur bras étaient longs. Quant aux autres, Svenn savait qu’ils étaient moins terrifiants… moins puissants. Mais chacun d’entre eux restaient de grands guerriers, il en était conscient. Lui-même avait été invité à cette réunion car on avait entendu le récit de son voyage sur la côté du royaume des hommes du sud, le « Gorbos ». Royaume que peu de barbares avaient atteints par navire, même par erreur.

« Mes frères ! Mes sœurs ! Mes amis ! C’est une grande joie de vous voir ici parmi nous !  Vous êtes tous ici pour la gloire et la richesse, et vous l’aurez, je vous le garanti ! Les amazones nous laissent leurs trésors, il ne nous reste plus qu’à les saisir ! Elles sont trop… occupées avec les créatures difformes que l’on appelle nains. Ne sommes-nous donc plus une menace pour elles ? C’est une offense envers notre peuple ! Une insulte ! Et nous allons la laver dans le sang et le feu ! »

Une clameur s’éleva dans la pièce, accueillant les paroles du maitre de table avec plaisir. Svenn esquissa un sourire tandis qu’il portait la chope qu’il s’était servi à ses lèvres. Si son habilité l’arme à la main restait à vérifier, il savait à présent avec certitude que sa maitrise du langage n’était plus à faire, contrairement à la majorité de son peuple.

«  Seulement voilà : nous ne nous attaquerons pas à un village isolé comme nous en avons l’habitude ! Nous nous attaquons à un peuple entier ! Il nous est impossible de foncer tête baissée, séparés. Nous devons avoir un chef pour mener la charge vers le sud.  Et quoi de plus normal que de me proposer, moi, chef respecté et reconnu, l’organisateur de ce rassemblement pour avoir ce poste ? »

Les cris de la fête continuaient à battre leur plein dans le hall, mais dans la petite salle où se déroulait la discussion, l’air s’était tendue d’un coup. Les rires s’étaient retirés des lèvres pour laisser place  aux tressautements nerveux. Un homme à l’autre bout de la table protesta, prétextant la supériorité numérique qu’il apporterait pour se faire choisir. Puis ce fut le tour d’une autre, et ainsi de suite. Chacun y allait de son commentaire, et Svenn vit ou tout allait finir.

Avant même que tout ait commencé.